La pandémie – et particulièrement la première vague – a mis en lumière des enjeux majeurs dans le système de protection de nos aînés(es) vivant en centre de soins de longue durée (CHSLD). Un drame humain difficile à comprendre et inacceptable pour une société riche, développée et engagée envers ses programmes sociaux comme le Canada. Ce drame est survenu à large échelle dans de nombreux CHSLD (publics et privés) et dans plusieurs provinces, dont notamment l’Ontario et le Québec. Les commissions d’enquête qui ont suivi révèlent des lacunes significatives dans la sécurité et la prestation de soins durant la crise. Plusieurs raisons sous-tendent ces lacunes et le manque de personnel arrive en tête de liste. Ce manque de personnel s’est traduit dans certains cas par un isolement presque complet des résidents qui se retrouvaient sans aucune aide ou soins. Le résultat fut un drame déchirant que nous sommes encore à découvrir à ce jour avec douleur à travers les enquêtes en cours. Que s’est-il passé? Que devons-nous faire? Comment s’assurer que plus jamais un tel drame ne pourrait survenir?
De comprendre la tragédie des CHSLD et de nous assurer que les rectificatifs soient faits de manière complète et avec l’assurance de leur efficacité n’est pas une mince tâche. J’ai déjà tracé un portrait du défi démographique qui nous attend pour adapter la quantité de soins offerts à une population vieillissante et grandissante. Une réflexion sur la nature distincte des CHSLD, qu’ils soient publics ou privés, me semble ici utile pour nous aider à comprendre le défi de la qualité des soins offerts.
Les CHSLD sont des milieux complexes puisqu’ils représentent un carrefour unique entre le milieu de vie des résidents et le milieu de soins pour ceux-ci. Si l’on ajoute que les CHSLD sont aussi un milieu de travail pour les employés(es) qui offrent tous les services nécessaires pour le bien-être et la santé des résidents, les CHSLD sont le carrefour de trois milieux, soit le milieu de vie, le milieu de soins et le milieu de travail. Ces trois dimensions se rejoignent pour former une seule réalité mais ils requièrent néanmoins une attention adaptée et dédiée. Nos aînés(es) et la qualité de leur vie se retrouvent ainsi au milieu de ces milieux. Il s’agit d’une caractéristique unique et fondamentale des CHSLD qui n’est pas suffisamment connue et reconnue pour ce qu’elle génère en complexité.
Dans les dernières années, la reconnaissance que les CHSLD constituent avant tout un milieu de vie pour ceux et celles qui y demeurent a augmenté et la recherche de son amélioration a émergé comme priorité. Certaines avancées, partielles ou complètes, ont été faites depuis une quinzaine d’années dont de nouveaux programmes d’évaluation de la qualité, une refonte de l’approche alimentaire, des règles plus strictes pour le respect de la vie privée et des libertés ainsi que des investissements ciblés pour rehausser l’animation de la vie courante et les infrastructures. Cela s’est traduit par une amélioration relative et encourageante du milieu de vie même si beaucoup reste à faire. Cependant, les milieux de soins et de travail n’ont pas avancé autant.
D’une part, un travail de fond est nécessaire pour renforcer et standardiser les soins offerts en CHSLD. Il nous faut mieux les structurer en système et mieux arrimer leur continuité avec les autres soins parfois nécessaires comme ceux en milieu hospitalier. D’autre part, la qualité des soins offerts est indissociable de la qualité du milieu de travail que le CHSLD offre. Cette dimension est ressortie grandement lors de la crise de la première vague qui a mis en lumière le manque d’effectifs et les conditions offertes qui ne permettent pas d’attirer et de retenir le personnel de manière efficace. Dans ce contexte, le salaire des préposés aux bénéficiaires a souvent été évoqué comme un facteur lié au manque de personnel qui a exacerbé la crise. Bien d’autres dimensions doivent être analysées et améliorées, comme par exemple la conciliation entre ces milieux distincts qui cohabitent et que nous ne maîtrisons pas encore. En somme, l’évidence est que si nous souhaitons améliorer la qualité des soins offerts, nous devons travailler à améliorer la qualité du milieu de travail en même temps car ces deux dimensions sont intimement liées.
De découper le défi à relever en trois cibles distinctes mais inséparables et complémentaires (milieux de vie, de soins et de travail) pourrait nous aider à développer des solutions. Ainsi, il peut être utile de structurer les efforts à déployer en précisant ces trois cibles. Celles-ci sont de nature distincte et demande des solutions adaptées à leur spécificité. De toute évidence, toutes les solutions requises pour ces trois milieux au milieu desquels se trouvent nos aînés(es) se traduiront inévitablement par un besoin d’investissement. L’investissement canadien total en santé représente déjà plus de 264 milliards de $ (public et privé) par année ou plus de 7000$ en moyenne par canadien(ne). Plus du tiers des budgets gouvernementaux fédéral et provinciaux amalgamés sont investis en santé et l’investissement par province représente de 35% à plus de 50% du budget gouvernemental annuel. Comme la courbe démographique des prochaines décennies annonce une augmentation substantielle du nombre d’aînés(es) et que notre espérance de vie ne cesse de s’allonger avec la science, cela annonce des débats de société en profondeur. Ces débats qui feront évoluer sans aucun doute notre façon d’aborder les défis de nos systèmes de santé mériteront aussi notre attention. Ils soulèveront des enjeux fondamentaux pour notre société; enjeux qui seront des plus intéressants pour de prochains articles…
En attendant, portez-vous bien et soyez heureux.
B.