Le Canada a récemment institué la Journée Nationale pour la Vérité et la Réconciliation qui cible plus spécifiquement d’honorer les Survivants des Premières Nations, des Inuits et des Métis des pensionnats autochtones ainsi que la mémoire des enfants qui n’ont pas survécu. La nouvelle Journée Nationale pour la Vérité et la Réconciliation, qui se tiendra annuellement le 30 septembre, découle d’une des 94 recommandations misent de l’avant par le rapport portant sur les appels à l’action de la Commission de 2015 sur la Vérité et la Réconciliation. La Journée Nationale a été officialisée au début de l’été 2021 dans la foulée des découvertes multiples de fosses communes près des pensionnats autochtones qui ont été rendues publiques. Il va de soi que tous les Canadiens(nes) l’ont appris avec stupeur, voire même avec un sentiment de honte, lorsque ces découvertes ont été faites en 2021. Moi aussi.
En premier lieu, j’ai été secoué avec un sentiment de honte car il est difficile d’imaginer, du point de vue humain, qu’une telle chose puisse se produire. Mais j’ai été encore plus secoué et honteux de par le privilège incroyable que j’ai eu de pouvoir apprendre sur les Premières Nations et, surtout, d’apprendre de leur sagesse directement en tant que Président et Chef de la direction de l’Agence Provinciale de la Santé (PHSA). PHSA a son siège social sur les territoires traditionnels non cédés des Peuples Musqueam, Squamish and Tsleil-Waututh à Vancouver, Colombie-Britannique. Peu de temps après être entré en fonction en février 2020, trois priorités d’intérêt ont capté mon attention : la pandémie (bien évidemment), la transformation de PHSA et les Premières Nations. Cette dernière s’est révélée être une occasion unique d’apprendre et de rencontrer des gens extraordinaires qui m’ont ouvert les yeux et le coeur. Deux de ces personnes que j’ai rencontrées était nommées par leurs pairs ‘Elder’, ce qui se traduit difficilement mais qui fait référence à une marque de respect et qui sous-entend une sagesse représentative par rapport à l’histoire des Premières Nations, leurs cultures, leurs difficultés, leur spiritualité et sur la vie en général. J’ai ainsi rencontré Elder Gerry (Oleman) et Elder Lillian (Howard) qui étaient tous les deux des Survivants des pensionnats autochtones.
Elder Gerry est un membre de la Nation St’at’imc de Tsal’alh (Shalalth, C.-B.) et Elder Lillian demeurait à Vancouver et est un membre de la Nation Mowachaht/Muchalaht et aussi de descendance Nuuchah-nulth, Kwakwaka’wakw et Tlingit. Je les ai rencontrés tous les deux à travers une autre dame remarquable issue des Premières Nations et docteure (Ph.D.) en travail social, Cheryl Ward (de la Nation Kwakwaka’wakw). Cheryl travaille à PHSA, basé à Vancouver, en tant que directrice exécutive du département soutenant le développement de la santé autochtone et la sécurité culturelle au sein de l’organisation et au-delà, notamment à l’aide du programme de formation San’yas. D’avoir l’occasion de rencontrer et d’apprendre d’Elder Gerry, Elder Lillian et Cheryl a été un privilège qui m’a aidé non seulement à rectifier mes croyances historiques à partir d’une vérité moins biaisée, mais aussi à affûter des habiletés que j’étais persuadé jusqu’à ce moment d’avoir déjà maîtrisées, soit apprendre, écouter et respecter.
Le programme San’yas a été révélateur comme expérience pour prendre conscience des biais erronés et des stéréotypes que j’ai appris à travers ma scolarisation, les films, les livres et la vie dans une société bâtie d’une manière qui faisait abstraction du point de vue des Premières Nations. Lorsque j’ai commencé le programme, j’anticipais d’apprendre sur l’histoire des Premières Nations, leurs cultures, leur façon de vivre et d’autres dimensions importantes pour les comprendre. Après tout, l’apprentissage revient à acquérir des connaissances, n’est-ce pas? J’ai découvert que c’est beaucoup plus que cela. Bien évidemment, le programme et mes discussions avec Elder Gerry et Elder Lillian m’ont permis de me familiariser avec toute une gamme de connaissances riches et informatives. Mais ce que j’ai aussi appris est que la manière dont on acquiert nos connaissances et les faits historiques peut fausser ces connaissances si elles sont acquises d’un point de vue qui est biaisé. Cela signifie que notre capacité d’apprendre peut être limitée par les lunettes à travers lesquelles nous apprenons des connaissances.
En ce sens, le vrai apprentissage s’appuie sur beaucoup plus que la simple addition de connaissances à notre répertoire. Il s’agit aussi de questionner notre propre cadre de référence; notre façon de voir le monde; notre façon de souhaiter que le monde soit d’une certaine manière; notre façon d’articuler les autres à l’intérieur de notre propre monde. Lorsque nous commençons à ébranler notre cadre de référence du monde connu jusqu’alors, apprendre devient une histoire de croissance personnelle et non plus juste une accumulation de connaissances. Cela n’est pas sans rappeler les mots connus de Wayne Dyer: “Lorsque l’on change la manière avec laquelle on regarde les choses, les choses que l’on regarde changent…” .
La formation San’yas et le grand privilège d’avoir connu Elder Gerry and Elder Lillian a transformé m’a façon de voir les Premières Nations. J’ai encore tant de choses à apprendre mais j’espère qu’au moins maintenant j’apprends d’une meilleure manière. Apprendre devrait être un processus à travers lequel nous questionnons nos propres notions préconçues et nos biais afin de faire émerger des versions plus sages de nous-mêmes. Malheureusement, les pensionnats autochtones ont été créés pour accomplir l’inverse, soit d’imposer d’une façon de vivre plutôt que de partager et d’apprendre entre nous. En sachant qu’Elder Gerry et Elder Lillian sont des Survivants des pensionnats autochtones, j’ai été particulièrement ébranlé lorsque j’ai appris la nouvelle des découvertes de fosses communes à proximité de ceux-ci. Les pensionnats autochtones se sont avérés encore pire que je le croyais. Je ne pensais pas cela possible au Canada. Je présume que j’ai encore beaucoup à apprendre…
Mon lien avec les Premières Nations, à travers mon mandat de PDG à PHSA et plus largement en vivant à Vancouver pendant un an, fut marquant; particulièrement mes interactions avec Elder Gerry, Elder Lillian et Cheryl. Ce privilège de pouvoir vivre de tels apprentissages a changé ma façon de voir notre société et aussi de mieux saisir ses défis. Mon ouverture à cheminer de la sorte ainsi que le lien de confiance et l’espoir qui en découlaient, étant donné le niveau de mes responsabilités, m’ont valu l’honneur de recevoir une marque d’appréciation toute particulière : le « blanket ». Habituellement, ce cadeau honorifique revient à ceux et celles qui ont fait quelque chose de significatif, ce qui n’était pas mon cas. Je ne prétends pas avoir fait quoi que ce soit de substantiel pour les Premières Nations, loin de là. Je crois cependant que le geste de m’honorer avec un « blanket » visait plus à souligner mon ouverture à cheminer pour me défaire de mes vieilles lunettes biaisées et entreprendre un apprentissage réel qui donnait de l’espoir pour améliorer les soins de santé aux Premières Nations. Cet honneur m’a profondément touché et demeurera pour toujours une source de motivation pour poursuivre l’apprentissage et saisir les occasions de contribuer à améliorer les choses. Ci bas est une photo du « blanket » que j’ai reçu.
J’ai été profondément attristé d’apprendre que Elder Lillian s’est éteinte récemment . Je souhaitais donc partager à quel point je suis reconnaissant d’avoir eu le privilège de croiser son chemin et d’apprendre de la sagesse qu’elle a acquise au cours d’une vie riche mais aussi teintée de grands défis humains. Afin d’honorer sa mémoire, j’ai partagé avec vous une petite portion de ce que j’ai appris en la côtoyant, soit ce que l’apprentissage peut vraiment être. Elder Lillian fut un exemple inspirant de résilience, de courage, d’engagement et d’authenticité. Son parcours de vie demeurera un phare éclairant nos pas à tous vers la compassion, l’amour, la vérité et la réconciliation.
Merci Elder Lillian. Reposez en paix.
B.