La gouvernance et la gestion des organisations en santé sont souvent abordées de manière distincte. D’une part le Conseil d’administration (CA) développe ses propres rouages de fonctionnement comme par exemple sa structure de comités. Il gère le mandat que la constitution officielle de l’organisation lui confère à travers un processus décisionnel par voie de résolutions. Il formule et approuve des orientations stratégiques et met en place un système de surveillance des éléments clé de performance attendue. Le CA représente le carrefour décisionnel où les attentes gouvernementales, les rapports et propositions de la direction, les représentations de divers groupes d’intérêt et la couverture médiatique convergent et alimentent un pilotage stratégique en continu. Nous verrons plus loin que ce carrefour décisionnel a une valeur au-delà du devoir fiduciaire du CA.
D’autre part, la haute direction de l’organisation est mandatée pour mettre en place une structure de gestion afin de gérer les opérations courantes ainsi que l’actualisation des orientations confirmées par le CA. Au sein d’un système de santé publique et universel comme nous avons dans les provinces canadiennes, plusieurs de ces orientations découlent souvent d’attentes signifiées par le gouvernement élu et elles sont soumises à l’influence parfois très sentie de différents groupes d’intérêt concernés; comme par exemple le corps médical, les syndicats, ou les médias. Un tel contexte est loin d’être un incitatif à prendre des risques et à développer des nouvelles approches. En fait, innover dans nos systèmes publics de santé n’est pas une mince affaire. Mais alors, comment soutenir l’innovation puisque nos systèmes de santé ont besoin de se réinventer et de se renouveler? Comment créer un environnement propice à l’innovation au sein d’organisations aux prises avec des impératifs de qualité, de fiabilité et performance?
La gestion du risque est très certainement un élément important de réponse car le risque peut constituer un frein puissant à l’innovation. Le risque prend plusieurs formes. Il peut être clinique, corporatif, financier, lié à la réputation, culturel ou exister de bien d’autres façons. Bref, la gestion du risque doit être partout. Elle a aussi de nombreuses ramifications qui touchent toutes les sphères de l’organisation de haut en bas et de bas en haut. L’introduction d’innovations augmente cette complexité de par leur nature incertaine et parfois volatile. L’innovation ébranle le statu quo et, de ce fait, peut générer des risques imprévus, plus graves ou simplement nouveaux. Ces risques doivent être évalués et encadrés. Nos systèmes de santé doivent être fiables, prévisibles et validés dans tous ce qu’ils font. Le rôle du C.A. devient important dans un tel contexte car, tel que mentionné ci haut, le C.A. représente le carrefour ultime de nombreuses sources d’information, de rouages de gouverne et de gestion, de parties prenantes et de processus décisionnels.
Au-delà du rôle fiduciaire, la gouvernance du C.A. devient alors une pierre angulaire pour permettre l’émergence de projets d’innovation et pour offrir un soutien dans leur actualisation. L’espace nécessaire à l’innovation ne se crée pas spontanément. Il doit être bien enraciné dans le carrefour décisionnel que représente le CA et sa gouvernance . Pour atteindre cet objectif, un des leviers les plus importants est d’instaurer un système de gestion des risques performant. Innover en santé revient à faire émerger de nouvelles connaissances, pratiques, processus et façons de voir qui améliorent l’état des choses localement tout en ayant le potentiel d’être exportées ailleurs. Cela doit se faire à partir d’une vision claire et partagée par tous les acteurs clé. Dans ce contexte, un partenariat étroit et bien arrimé à un système de gestion des risques peut permettre à une volonté commune d’émerger et d’oser sortir des sentiers battus afin de prendre un risque calculé pour soutenir l’émergence de l’innovation. Une fois bien établie, une saine gestion du risque permet de calculer celui-ci plus aisément et aussi de pouvoir l’encadrer en continu de manière rassurante.
La gouvernance du CA se retrouve ainsi au coeur de la dynamique nécessaire à l’innovation et la gestion du risque représente une pierre angulaire de cette dynamique. L’innovation amène un bris de statu quo, ce qui vient avec son lot de risques à gérer. Cela demande un partenariat et de la confiance entre les acteurs impliqués. La gouvernance du CA agit comme point d’ancrage à ceux-ci et la gestion du risque consolide cet ancrage. Ce faisant, de nombreux acteurs clé peuvent s’articuler entre eux de manière efficace afin de bien naviguer dans la complexité des systèmes et de les aider à innover.
Il est intéressant de noter qu’en abordant la logique sous-jacente à l’innovation et son lien avec la gestion des risques, nous nous retrouvons à parler d’éléments constitutifs d’un autre concept qui est connexe, soit celui de « gouvernance partagée ». Cette dernière est utilisée pour différents objectifs, au-delà de l’innovation, comme par exemple l’amélioration continu de la qualité. À l’instar des conclusions que nous tirons sur l’innovation et son lien avec la gestion des risques, la « gouvernance partagée » renforce l’importance de l’implication décisionnelle de toutes les parties prenantes à un objectif commun. D’explorer plus avant la gouvernance partagée nous permettrait sans aucun doute de découvrir toute sa richesse pour les systèmes de santé. Celle-ci méritera notre attention mais il s’agit d’autres pistes de réflexion intéressantes pour de futurs articles…
En attendant, portez-vous bien et soyez heureux.
B.