Même si nos progrès sont remarquables, le titre « Les R&R de la vaccination covid-19 » ne fait évidemment pas référence au désir de se vanter d’avoir une Rolls Royce de vaccination ici au Canada… Le titre fait plutôt référence à la tension naturelle qui existe entre notre droits et nos responsabilités (« rights and responsibilities » en anglais, d’où le R&R). Je m’explique. Les taux de vaccination s’améliorent à un rythme encourageant au Canada. Au 10 juillet dernier, les statistiques démontrent que la plupart des provinces progressent bien et que presque 70% de la population a reçu au moins une dose alors que de 40 à 46% a reçu la deuxième dose. Si la tendance se maintient, le pays sera en mesure d’atteindre la cible de 75% de la population pleinement vaccinée (deux doses) d’ici le milieu ou la fin de l’automne. Cette performance est très bien. Mais est-ce suffisant?
Une tendance saute aux yeux lorsque nous nous penchons sur le découpage démographique des taux de vaccination covid-19: plus le groupe d’âge de la population ciblée est jeune, plus petit est le taux de vaccination. Bien évidemment, le processus par lequel la vaccination covid-19 s’est déployée contribue à induire cette tendance dans les statistiques car celui-ci a été structuré par étape et a commencé par les groupes de population les plus âgés pour cibler les groupes moins âgés par la suite. Mais au-delà de cette évidence, est-il possible de considérer que les préférences personnelles, les modes, les croyances, la religion et d’autres influences liées à l’identité propre des individus pourraient rendre l’atteinte d’un plus haut taux de vaccination covid-19 difficile? Je crois que cette possibilité est bien réelle.
Au Québec, une loterie a été instituée pour les gens ayant reçu les deux doses d’ici septembre 2021 afin d’inciter les groupes d’âge plus jeunes dont la motivation à se faire vacciner semble moins forte. En France, la menace de l’imposition d’une exigence d’avoir une pleine vaccination (deux doses) afin d’accéder à certains services ou de jouir de certaines libertés a généré une vague d’inscriptions pour obtenir le vaccin chez les groupes d’âge plus jeunes. Mais est-il acceptable de créer de tels incitatifs ou de mettre une pression coercitive sur les individus qui refusent de se faire vacciner?
Dans cette foulée, le variant delta a aussi augmenté la pression sur les gouvernements de produire une réponse adaptée à la menace alors que les scientifiques ont commencé à faire valoir le besoin d’augmenter la cible de vaccination Covid-19 de 75% à 90% pour atteindre l’immunité collective . Ce constat alimente le débat par rapport aux groupes de la population qui sont moins enclin à se faire vacciner ou qui sont tout simplement contre. Les taux de vaccination sont historiquement toujours assez bas lorsqu’il est question de l’influenza saisonnier. Différentes perspectives, croyances et l’absence d’une urgence évidente pour contrer les effets potentiellement sérieux du virus de l’influenza ont maintenu le taux de vaccination saisonnier très bas (trop bas selon l’opinion des experts en santé publique).
La question de base a toujours été: que peut-on faire si les gens ne souhaitent pas se faire vacciner? Dans des circonstances normales, il y a très peu de moyens. Nous devons nous en remettre à la volonté de chacun de décider d’obtenir la vaccination ou non. De ce fait, les conséquences usuelles et saisonnières du virus de l’influenza sont une pression accrue sur le système de santé, des coûts plus élevés pour le système et plus ou moins une semaine de maladie pour les personnes qui le contractent avant de se rétablir. Cependant, le virus du covid-19 est d’une autre nature: il peut causer la mort et avoir des conséquences graves sur la santé des gens. Il est aussi la source du ralentissement économique le plus important du dernier siècle qui affecte la vie de milliards de personnes. Alors, que pouvons-nous faire?
Je suis un fervent défenseur des droits humains et la Charte Canadienne des droits et libertés protège notre droit de décider pour nous-mêmes, de s’autodéterminer et ce, peu importe la raison. Nous avons tous le droit de dire non. Mais est-ce que cela veut aussi dire que nous devrions tous, également, avoir accès aux mêmes privilèges et avantages si en disant non nous mettons les autres à risque? Il s’agit là de la question sous-jacente aux discussions qui ont cours en lien avec le passeport de vaccination et l’exigence d’avoir une pleine vaccination (deux doses) pour accéder à certains privilèges comme d’entrer et de sortir du pays sans avoir à se soumettre à une période d’isolement ou toute autre mesure de protection de la population. Comme c’est le cas pour bien des approches du genre, elle peut être utilisé de manière intelligente, de la bonne manière, et elle peut aussi devenir abusive.
Il n’est pas facile d’établir l’équilibre entre ces deux dimensions (droits et responsabilités) mais il semble pertinent de le faire ou à tout le moins le considérer. Si quelqu’un ne souhaite pas se faire vacciner, sa volonté doit être respectée. Cela n’empêche pas que nous avons un devoir collectif de se protéger l’un l’autre. Avec une pleine vaccination covid-19, il y a peu de chance qu’une personne représente une menace à la santé des autres. Sans cette pleine vaccination, le risque est très élevé; particulièrement maintenant avec l’émergence du variant delta. Mais alors, que devons-nous faire?
L’économie doit pouvoir être relancée sans délai sinon des millions, des milliards de gens vont en souffrir. Cette réouverture est déjà en branle après une année et demie d’impact économique. Les générations futures vont être affectées par cet impact et elles auront à payer la note d’une ampleur historique de toutes les mesures qui ont été nécessaires pour le maintien de la santé et de l’économie. Cependant, l’atteinte d’un taux de vaccination de 90% au Canada représente un défi de taille. Dans ce contexte, des mesures visant à mitiger le risque d’infection peuvent être vues comme étant justifiées afin d’assurer à la fois le respect des droits et libertés de tous les citoyens et aussi la mise en place de mesures qui mettent de l’avant les responsabilités qui viennent avec, notamment celle de ne pas causer du tort à autrui. En toute franchise, malgré tout, même si le Canada réussissait l’exploit d’atteindre un taux de vaccination de 90% ou de mettre en oeuvre des mesures adéquates pour permettre aux Canadiens(ennes) de retrouver une vie un tant soit peu normale, le défi demeurerait entier car il est planétaire.
En attendant, portez-vous bien et soyez heureux.Le taux de vaccination de 90% devrait être atteint sur une base mondiale pour pouvoir éradiquer la pandémie, ce qui est loin d’être atteint comme cible et particulièrement dans les pays moins développés. Ces pays représentent quand même près des deux tiers de la population mondiale. Les inégalités ont rarement été aussi évidentes que dans le processus de vaccination contre la covid-19. Cela mérite réflexion, bien sûr, mais il s’agit d’un autre sujet, un bon sujet pour un prochain article…
En attendant, portez-vous bien et soyez heureux.
B.